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écriture Dingoraminoir <   |   >

Dingoraminoir, réédité en 2012 chez l’Harmattan, collection L’Écarlate.

« Publication en 1971 de ce premier roman sous le titre “Des nacelles océanes (dingoraminoir)” chez André Balland, alors que j’étais chef de service à l’Hôpital Psychiatrique de Quimper. Au départ, simple journal de bord, cri drôlatique sur cet univers d’aberration, encore plus asilaire que ceux fréquentés au cours de mes années d’internat. Ouvrage pilonné en 1975 (diffusion minime), sur ma demande expresse, par souci déontologique. En effet, certains collègues opposés à toute évolution institutionnelle, et en particulier à mon “militantisme” dérangeant avaient découvert le pseudonyme de Joinul et commencèrent à me discréditer auprès des familles de malades, “preuves à l’appui!”…
En 1984 : surmenage, rupture. Arrêt de tout exercice médical pour me consacrer entièrement à la création littéraire et picturale. »

(extraits de la postface de l’auteur et du texte de présentation)


Préface à la réédition de Dingoraminoir

Roger Gentis

Comme l’ami Joinul, j’ai eu la chance, si l’on peut dire, de connaître l’Asile dans toute sa démesure, dans toute sa monstruosité. Cette institution ne subsiste plus, çà et là, qu’à l’état de vestige et il doit être pratiquement impossible – en France du moins – de retrouver ce monde dantesque à l’état pur, tel que l’auteur nous invite ici à y plonger. Ce que j’ai fait quand l’auteur m’a envoyé le livre : c’était en 1971, je venais moi-même de publier Les murs de l’Asile, – un changement d’ère s’annonçait. Pourquoi ce Dingoraminoir, que je considère en ce domaine comme un livre majeur, n’a-t-il pas eu alors tout le succès qu’on pouvait attendre? Nous savons combien il importe de conserver la mémoire des atrocités, des monstruosités qui ont hanté notre époque. L’institution asilaire a été commise par des gens ordinaires, des gens comme vous et moi, ne l’oublions pas – n’oublions pas de quoi nous sommes capables…

Plongeons donc : c’est bien d’un parcours initiatique dont il s’agit, et si les cercles infernaux paraissent plutôt rassurants, et un tantinet campagnards, en regard de ce qui est décrit ici, c’est sans doute qu’ils relèvent essentiellement d’une disposition ordonnée et répondent à une rationalité transcendante. Ici, c’est le règne de l’absurde, de l’incohérence, du chaos, d’autant plus déboussolants qu’ils ne procèdent pas –par filiation directe– de la folie elle-même, mais du projet social d’assigner la folie, de la réduire en un lieu, de la contenir dans un espace circonscrit. Le merdier asilaire est la déconfiture époustouflante de la raison moderne, car il résulte d’une volonté d’ordre hautement proclamée, affichée au-dehors dans l’ordonnance des bâtiments, qui tient du couvent, de la caserne et de la manufacture – et le tiré au cordeau des parcs et jardins, légitime orgueil de tout asile qui se respecte.

Mais « quand les grandes Orgues sonnent à l’attaque, les dix mille cuillères du Réfectoire Ouest s’enfoncent dans la soupe comme un seul homme dans le ragoût du chef ». Qui, dès la première phrase a jamais su introduire le lecteur avec cette autorité, cette implacabilité, dans l’univers concentrationnaire, celui des asiles du moins? Pierre Joinul est ce qu’on appelle un hyperréaliste. Tout y est : la pompe, l’ombre de l’armée, la robotisation de masse, le dévoiement des mots en langue de bois : parodie sordide et creuse de la vie religieuse, militaire et bourgeoise – nous sommes au cœur du sujet et n’en sortirons plus. Dès le paragraphe suivant, tout se change en merde – le ragoût du chef retourne à sa vérité.

Rabelais plus que Dante, bien sûr – et aussi Alfred Jarry, Raymond Roussel, Lewis Caroll, Pierre-Albert Birot, Raymond Queneau, Jean Dubuffet, Jeanne Tripier.

Joinul s’est manifestement choisi d’immenses maîtres. Choisi? C’est mal dire : il les aime, voilà tout, et il les a beaucoup fréquentés. De cette lecture je ne suis à vrai dire pas revenu : Dingoraminoir demeure toujours pour moi un ouvrage unique, ouvert et scellé à la fois –et même quand je crois savoir où je suis, je ne comprends guère comment j’y suis venu. Me voici dans une forêt grotesque, une jungle antédiluvienne, une prolifération verbale anomique– le processus primaire du père Freud s’est infiltré partout, à chaque page on en reçoit des giclées plein la gueule : langage fou, texte dingue, assurément –mais d’une dinguerie produite, travaillées– et je dois bien avouer que ce qui m’irrite, c’est de ne pas arriver à voir comment c’est fait. Car vous pouvez bien vous mettre à votre écritoire, une telle démence, croyez-moi, ça ne vient pas tout seul, il y faut du métier et, comme on dit de nos jours, de la technologie. J’ai cru pendant longtemps qu’il y avait là des procédés –que Joinul en avait piqué quelques-uns et des meilleures marques, chez Roussel ou à l’Oulipo ou ailleurs; je m’évertuais à les traquer dans le texte, et il me semblait en avoir débusqué un…

Mais non, l’auteur m’assure qu’il n’a usé de rien de tel, qu’il ne sait pas d’où ça sort tout ça, que c’est tout de son cru – ce jaillissement, cette exubérance, cette fête maniaque, ce carnaval verbal complètement pété, grouillant, somptueux et débridé, dans lequel je me sens aspiré, entraîné quasi malgré moi, avec le regret très net, le remords de passer presque à chaque phrase à côté de perspectives qu’au mieux je ne fais qu’entrevoir : Joinul ce qu’il écrit part grands dieux dans tous les sens. C’est littéralement affolant et ça vous secoue les tripes, l’inconscient et le reste – et ma chère quelle «prime de plaisir»! diraient les psychanalystes, qui en connaissent la théorie à fond – du plaisir.

Soyons sérieux. Jouissez mes frères, mais ne vous laissez pas aveugler par le feu d’artifice de Pierre Joinul. Ce livre est aussi –j’y insiste– un témoignage. La galerie de portraits par exemple – MM les Professeurs Marotte, de Bassan, Archi et compagnie – mais je les ai connus! et je les reconnais ici, plus vrais que nature. Et l’ergothérapie, la kermesse, la contestation antipsychiatrique, la visite du Ministre! Et la recherche scientifique! Et le concours clinique (un duel!), mais j’ai connu ça parbleu – j’ai été candidat, lauréat, membre du jury… Caricature, oui, avec tous les irremplaçables effets de la vérité de la grande caricature.

La caricature… À qui savait voir, ne disait-on pas d’ailleurs que l’Asile en offrait une –parfaite– de notre société? Et s’il est vrai que l’Histoire se joue par deux fois, l’une en tragédie, l’autre en farce – on ne peut s’empêcher de se dire que, grâce aux aliénistes, nous avons cette fois-ci commencé par la farce. Assez tragique quand même, la farce, quand on y songe (on sait que quelques quarante mille malades sont morts de faim en France pendant l’Occupation) – mais à la belle époque des asiles, la grande tragédie était encore à venir : il faut bigler sur Dingoraminoir – un œil en coin sur Auschwitz. Cet œil en coin nous donne la mesure du rire de Joinul: humain/inhumain, ou de l’horreur d’être homme… Alors en voiture, ladies and gentlemen, en voiture! Et n’oubliez pas de dégrafer vos ceintures, sûr qu’on est partis pour s’en payer une tranche!

Roger Gentis, 2012

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